Ah, les marronniers dans la presse, notamment sportive... le premier week-end de janvier, donc de l'année, est l'occasion pour l'Equipe (qui représente à elle seule l'essentiel de ce qu'on peut appeler la "presse sportive" dans ce pays...) de se plonger dans la France profonde, celle des villages, des clochers, des maires rougeaux, des buffets campagnards et des terrains de foot bosselés. Bon, après, faut vraiment de l'imagination pour se représenter des villes comme Versailles, Orléans ou Compiègne de cette manière...
C'est ça, le piège de la Coupe de France, c'est le moyen pour les médias d'accentuer encore un peu plus les exploits, véritables, certes, de ces "petits" lorsque ces derniers parviennent à dégommer un gros, dans un pays où le découpage de têtes royales a toujours été un spectacle apprécié, voire réclamé. Lorsque par exemple, parmi la demi-douzaine de "surprises" à laquelle on a eu une nouvelle fois le droit ce week-end, Sablé-sur-Sarthe, qui évolue en CFA2, donc au cinquième échelon national, bat aux tirs au buts Sedan, une des meilleures équipes de Ligue 2, si l'on se fie au traitement médiatique de cet exploit, on a vraiment l'impression que c'est une bande de braves paysans qui ont osé quitter leurs tracteurs pour aller botter les fesses de professionnels gavés de billets, qui ne mériteraient donc pas vraiment ces derniers. On serait d'ailleurs presque étonné, en regardant les images, que ces gaillards n'aient pas un peu de bide, une casquette à carreaux et des sabots en guise de chaussures... Mais attention, cette façon de relater ces authentiques performances, ce n'est pas du parisianisme primaire, non, c'est vraiment pour rendre hommage à la Province, histoire de ne pas se faire traiter de parigots tête de veau, forcément. Quelle insulte ! Sauf qu'évidemment, ça foire.
Si on cherche des renseignements sur Sablé-sur-Sarthe, on est loin du hameau déserté de ses habitants et entouré de pâturages... cet arrondissement de la Flèche compte quelques 12 347 habitants, au sein d'un canton qui regroupe quatorze communes et 32 000 âmes. On est loin de la Chine en terme démographique, on est d'accord, mais on est également loin du petit village perdu au milieu de nulle part. C'est une petite ville, sans histoire (hormis une prise d'otage dans son lycée en 2006, apprends-t-on dans Wikipédia...), mais qui compte donc autant, ou pas beaucoup moins d'habitants que des patelins hébergeant des clubs professionnels comme Guingamp (21 572), ou... Sedan (20 981), sa si prestigieuse victime, qui le devance de trois divisions...
De plus, si on regarde d'un peu plus près l'effectif d'un club forcément "familial", autrement que pour détailler les métiers de chaque joueur, on constate qu'on y retrouve un joueur formé à Boulogne-sur-Mer (Simon Tracol), un autre au Mans, Arnaud Lisembart, pour lequel il a joué un match de Ligue 2 avant d'aligner 86 matches de National avec Cherbourg, Rodez ou Rouen, ainsi que d'autres anciens de la réserve mancelle toute proche. Rien de clinquant, mais du symbolique en ce qui concerne la compétitivité complètement négligée par les médias de ces équipes, qui se nourrissent des déchus du professionnalisme, qu'ils ont parfois manqué d'un rien, et contre lequel ils nourrissent en général un sentiment légitime de revanche. Le foot professionnel ne produit pas seulement des écervelés plein aux as, incapables de penser sans leurs casques ou de s'installer plus d'un an et demi dans un club, il génère surtout plus de 20 % de chômeurs. Qui finissent souvent par garnir des petits clubs, souvent assez proches du centre de formation qui ne leur a pas suffisamment ouvert les portes. C'est le cas du Sablé-sur-Sarthe avec Le Mans, ce sera également le cas des joueurs de Locminé, qui affrontent ce dimanche le PSG, et qui proviennent surtout de Vannes, Lorient, voire... Bordeaux, pour Anicet Adjamossi, ou Créteil pour Abou Maïga (27 sélections avec le Bénin, tout de même).
Le vrai foot amateur, il ne passe pas à la télé, et n'est jamais, mais alors jamais, mentionné dans les médias, du moins nationaux. Il faut aller chercher ses résultats dans les petits coins des pages locales du Parisien, ou de Ouest France, avec une petite photo floue et en noir et blanc à côté, dans laquelle Tata Jeannine aura bien du mal à reconnaître le petit Kevin. Rien à voir avec ces semi-pros qui passent pour la base du foot en France. Ces petits clubs amateurs sont tellement petits que même la Coupe de France, qui est censée concerner tout le monde, ils ne connaissent pas. Ce qu'ils connaissent en revanche, c'est la difficulté pour trouver un jeu de maillot, les bénévoles qui utilisent leur temps familial pour aller entraîner ou voir jouer les gamins des autres, un ou deux soirs par semaine et une partie du week-end ; ils connaissent les matches du dimanche matin, et les défections inévitables quand certains ont trop fait la fête la veille ; le pot du dimanche midi, dans une petite cabane fabriquée par les dirigeants, etc. C'est ça, le foot amateur, et pour eux Sablé-sur-Sarthe c'est le FC Barcelone. Et les internationaux béninois, même anciens, dans ces clubs là ils ne courent pas les stades.
Après, évidemment, la rareté des entraînements et l'extrême limite des infrastructures sont de bonnes raisons de penser que l'écart entre ces petits clubs amateurs et les professionnels n'est pas qu'une vue de l'esprit. Mais la très grande motivation qui saisit ces joueurs pour qui ce sera en général le match de l'année, voire d'une vie, et souvent une revanche sur le destin, on l'a vu, le soutien parfois surréaliste de publics chauffés à blanc car préparés depuis des semaines à cet évènement parfois unique, des pelouses parfois sans rapports avec ce qu'on pourrait attendre d'aires de jeu acceptables, la récurrence parfois lassante de ces exploits, en général une demi-douzaine à chaque fois durant les premiers tours, mais aussi, il faut quand même le reconnaître, le manque de sérieux et d'humilité de certains joueurs professionnels à l'approche de ces matches faussement faciles à gagner, rendent le terme de "surprise" quelque peu erroné, voire malhonnête. Mais ça déplumerait le marronnier, chose à laquelle les médias se résolvent en général avec une grande réticence.
A très vite !
et pour avoir vu un Colmar-Lille en janvier 2010 où le premier (CFA) avait éliminé le second (L1, officiellement), je peux ajouter que souvent, le club professionnel profite de ce match face à un "petit" pour faire tourner son effectif et aligner des jeunes de sa réserve, évoluant donc en ... CFA elle aussi. Et d'exploit du coup, il n'y en a plus du tout ...
RépondreSupprimerLoool effectivement, vu comme ça !
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